Article de Pierre-Henri Tavoillot, paru en septembre 2012 dans Philomag, en voici quelques extraits.

À quoi bon tous ces petits projets dérisoires, pensons-nous soudain, au regard de la fugacité de notre vie ? La question du sens ultime de nos projets s’ouvre de manière béante et, en effet, angoissante. La Nausée, Jean-Paul Sartre : c’est l’histoire d’un individu ordinaire qui expérimente ce vertige existentiel en se mettant à penser : « Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi-même. Quand il arrive qu’on s’en rende compte, ça vous tourne le cœur et tout se met à flotter… ; voilà la nausée. »
La philosophie trouve sa place dans ce désarroi : à quoi sert-elle, au fond, si ce n’est à répondre à la question « à quoi sert de vivre ? ».
Les enfants sont adolescents de plus en plus tôt, les jeunes le restent de plus en plus tard, les adultes rechignent à quitter leur jeunesse et les vieux n’aspirent qu’à en connaître une seconde. Pourquoi grandir ? Pourquoi vieillir ?
Sortir de l’enfance est une chose, entrer dans la vie (adulte) en est une autre. Ces deux problématiques existentielles se sont scindées. Entre les deux, une phase de plus en plus longue que les sociologues font désormais durer jusqu’à 30 ans ! Les « conduites à risque », si propres à cet âge, relèvent de cette logique expérimentale : il faut risquer sa vie pour la sentir. La dépression et l’addiction sont des réponses à une même angoisse d’un vide existentiel, à la hantise que le moi tant recherché ne soit qu’un fantôme. Être soi… sinon rien !
Si l’adulte échoue dans ses projets, il déprime parce qu’il a échoué. S’il réussit, il déprime parce qu’il n’a plus rien à espérer. Dans les deux cas, il est une personne finie ; on disait jadis : un homme fait, mais peut-être faudrait-il ajouter… comme un rat. L’âge adulte est donc une impasse ; en quoi serait-il un modèle ? Il est lui aussi devenu une crise : la « crise du milieu de la vie ».
Comment, à partir de là, la vieillesse serait-elle autre chose qu’un naufrage ? Car notre époque n’exige pas seulement que nous soyons nous-mêmes ; il faut aussi que nous soyons toujours plus que nous-mêmes. À l’impératif d’authenticité vient s’ajouter celui de la performance. Impossible dès lors de justifier la vieillesse comme un supplément d’âme.
Quatre âges devenus quatre crises. Faut-il se résoudre à cette triste scansion de notre destin ? Une vie parfaitement réglée et structurée de la naissance à la mort, qui ne ferait pas l’expérience de sa propre contingence, serait tout aussi déshumanisée qu’une existence privée de sens. La crise existentielle est liée à la condition humaine. Et on imagine mal comment il serait possible d’accéder à une maturité sans en passer par ces épreuves.
D’où l’idée que notre époque, malgré ses nombreux travers que l’on pourrait qualifier de « jeunistes », n’a pas aboli la figure de l’adulte. L’idéal de maturité demeure, plus exigeant que jamais. Il invite chacun à ce que la philosophie antique réservait aux plus sages des sages, à savoir : accéder à une forme de réconciliation suprême avec le monde (expérience), avec les autres (responsabilité) et avec soi-même (authenticité). Expérience, responsabilité, authenticité : ces trois traits continuent de dessiner un portrait plausible de la maturité. Simplement, parce que la perfection n’est pas de ce monde et qu’il n’y a plus que ce monde, nous savons désormais que ce sont là des horizons voués à n’être jamais atteints. Telle est la source de notre perpétuelle déception et des crises existentielles qui l’accompagnent. Telle est pourtant notre unique planche de salut. C’est elle qui peut orienter l’éducation comme préparation de la maturité. Et c’est cette aspiration à une maturité inaccessible qui pourrait aussi permettre d’occuper à bon escient le temps gagné sur la mort comme un élargissement de l’adulte. Après le règne de l’adolescence, voici peut-être venir celui de la « maturescence ». Par où l’on perçoit qu’une vie sans crise ne mériterait guère, sans doute, d’être vécue.

Apparemment , la crise existentielle, du « milieu de la vie », survient vers 50 ans. « On l’appelle aussi la crise du milieu de la vie. Selon Jung, à cet âge, notre besoin de changement peut être lié au processus d’individuation. Ce moment où l’individu se réalise enfin, considère qu’il est complet car il a pris conscience de ce qui constitue son for intérieur. Le processus d’individuation nécessite une introspection, c’est-à-dire de regarder à l’intérieur de soi-même. “C’est là qu’arrivent les grandes questions existentielles comme ‘Ai-je fait les bons choix dans ma vie ?’, ‘Mes choix ont-ils été influencés’, ‘Ai-je toujours été libre ? La crise existentielle nous demande de revenir à l’essentiel, de redonner ou d’enfin donner du sens à notre vie” (source Passeport-santé)